La section dédiée à l’aciditée sur la roue des saveurs de la SCA

 L’ACIDITÉ DANS LE CAFÉ

Il y a bien de l’acidité dans le café. Mais quel est son rôle dans l’expérience sensorielle ? Que recouvre exactement ce terme ? Au lieu de la traiter uniquement comme une caractéristique chimique, il est préférable de la voir comme un élément fondamental de l’équilibre gustatif.

Acidité mesurée versus acidité perçue:

Il faut faire une distinction entre acidité mesurée (pH) et acidité perçue.

L’acidité du café est souvent associée à son pH, une échelle allant de 0 à 14 : 0 pour une acidité maximale, 14 pour une forte alcalinité, et 7 pour une neutralité totale. Le café présente un pH généralement compris entre 4 et 5, ce qui le classe parmi les aliments légèrement acides. Cependant, cette mesure ne suffit pas à expliquer la perception de l’acidité en bouche.

Le pH seul n’est pas un indicateur fiable, car il ne reflète pas précisément la flaveur du café. L’acidité titrable (TA), qui correspond à la quantité de base nécessaire pour neutraliser les acides, offre une meilleure estimation de la perception acide, bien que incomplète..

L’acidité perçue est davantage une sensation en bouche qu’une mesure réelle des acides.  C’est cette acidité perçue que de nombreux consommateurs et baristas recherchent. Deux grandes familles:

 Acides Organiques (OAs):

Les acides organiques influencent davantage le goût que les acides chlorogéniques, d’où notre focus sur eux. Les deux principaux dans le café sont l’acide citrique et l’acide malique. On associe souvent le premier aux agrumes et le second à la pomme verte, mais ils restent difficiles à distinguer. D’autres acides, comme l’acétique, jouent un rôle secondaire. Ces acides se dégradent à la torréfaction : plus elle est poussée, moins le café est acide. La gestion de cette acidité est cruciale : une trop forte torréfaction l’efface, rendant le café plat et cendré.

Acides Chlorogéniques (CGAs):

Présents naturellement dans les grains, ces composés se transforment à la torréfaction et influencent l’amertume du café. Les acides chlorogéniques (CGAs) se dégradent à la torréfaction. Les lactones CGA, issus de cette dégradation, donnent une amertume typique. L’acide quinique, autre produit de cette dégradation, y contribue aussi.

Les OAs agissent surtout sur l’acidité, la texture et les arômes, tandis que CGAs et dérivés influencent davantage l’amertume du café torréfié.

Paramètres influençant l’acidité:

Variété botanique et conditions de culture:

Aucun café n’est totalement exempt d’acidité. Le café vert contient naturellement divers acides issus soit du métabolisme de la plante (acides organiques), soit de l’absorption des minéraux du sol (acides inorganiques).

L’environnement de culture joue un rôle déterminant dans la concentration et la nature de ces acides. L’altitude, la composition des sols et le climat influencent directement le profil aromatique du café. En altitude, la croissance plus lente des cerises favorise une meilleure accumulation de nutriments, dont les acides organiques, tandis que les sols rocheux, riches en minéraux, renforcent cette acidité.

L’Arabica est plus acide que le Robusta en raison de sa génétique, de son environnement de culture et de ses caractéristiques agricoles. Il est généralement cultivé à des altitudes plus élevées et dans des climats plus frais, ce qui permet une croissance plus lente et une accumulation accrue d’acides organiques. De plus, certaines variétés d’Arabica sont naturellement plus acides. En revanche, le Robusta pousse à plus basse altitude et dans des conditions plus chaudes, ce qui limite son niveau d’acidité et lui confère un profil de goût plus doux.

Transformation post-récolte:

Les méthodes de traitement modifient significativement la perception de l’acidité. Les cafés lavés (washed) tendent à présenter une acidité plus nette et définie, car les sucres du mucilage ne fermentent pas en contact prolongé avec les grains. À l’inverse, les cafés naturels (séchés avec la cerise) ou honey (partiellement dépulpés) développent une douceur plus prononcée qui peut atténuer la sensation acide.

Les procédés expérimentaux, comme la fermentation anaérobie ou l’ensemencement avec des levures spécifiques, permettent de moduler cette acidité et d’explorer de nouvelles expressions aromatiques.

Torréfaction:

L’application de chaleur déclenche une série de réactions chimiques qui modifient la composition des acides. 

L’objectif est de trouver un équilibre optimal. L’expérience du torréfacteur est essentielle pour ajuster le profil de torréfaction en fonction de la variété et du public visé.

Extraction

L’extraction constitue le dernier paramètre d’ajustement de l’acidité. Une mouture trop grossière, une eau insuffisamment chaude et un temps d’infusion trop court peuvent accentuer une acidité déséquilibrée et peu harmonieuse. Le mode d’infusion influence également le ressenti : une méthode douce comme le V60 met en valeur les acides fruités, tandis qu’un espresso, par sa concentration et sa pression d’extraction, amplifie les contrastes gustatifs.

L’acidité en tasse : marqueur qualitatif ou limite sensorielle ?

L’acidité constitue un axe sensoriel central, souvent considéré par les professionnels comme un indicateur de qualité, apportant tension, éclat et complexité aromatique. Pourtant, elle reste largement incomprise ou perçue négativement par une partie des consommateurs. Ce paradoxe soulève une question fondamentale : comment une dimension aussi valorisée par les experts peut-elle être simultanément rejetée par le grand public ?

Dans le lexique du café, le terme aigre est soigneusement évité, sauf lorsqu’il s’agit de décrire un défaut de torréfaction ou un déséquilibre sensoriel. C’est pourquoi la filière a adopté le mot acidité pour désigner une sensation vive, structurante et plaisante, bien distincte de l’aigreur désagréable. Cette distinction sémantique est d’autant plus complexe que, dans d’autres domaines, l’acidité désigne une propriété chimique, tandis que l’aigreur en est l’expression gustative. Cette ambigüité entretient une confusion, souvent renforcée par l’expérience sensorielle négative que certains consommateurs associent à ces termes.

Lorsqu’elle est maîtrisée, l’acidité enrichit la tasse sans la dominer. Elle agit comme un levier organoleptique subtil, révélant les nuances variétales, la vivacité du profil aromatique et la fraîcheur en bouche. À l’inverse, une acidité excessive perturbe l’équilibre gustatif ; une acidité trop faible, elle, produit une tasse terne, plate et sans relief. L’acidité peut aussi résulter d’une extraction inadéquate, générant une expression sensorielle dissociée — tranchante, aigre ou acerbe — déconnectée de la dynamique aromatique recherchée. L’enjeu, pour le torréfacteur et le barista, est de parvenir à une articulation harmonieuse des dimensions gustatives, où l’acidité soutient sans parasiter.

Cette complexité sensorielle rejoint ce que les sciences du goût appellent une réponse hédonique en U inversé : une légère acidité est perçue comme agréable, tandis qu’un excès devient rédhibitoire. C’est exactement ce qui se joue dans le café : une acidité subtile équilibre l’amertume intrinsèque du grain et rehausse la perception de douceur. Sans elle, le café devient monocorde, voire cendré ; en excès, il bascule vers une expression agressive. Dans le langage du métier, un café est aigre lorsqu’il présente une acidité déséquilibrée, alors qu’un café acide, au sens noble du terme, est jugé harmonieux et vibrant.

Un clivage de perception : experts versus consommateurs:

Professionnels et consommateurs ne parlent pas toujours le même langage sensoriel. Là où les premiers recherchent une acidité fine, intégrée et élégante, les seconds associent fréquemment l’acidité à des références gustatives plus radicales (jus de citron, vinaigre, fruits verts), perçues comme des défauts. Cette dissonance est l’une des principales sources de malentendus dans l’appréciation du café.

Le rôle du café de spécialité dans l’évolution des goûts:

Longtemps perçue comme un défaut, notamment lorsqu’elle s’exprimait sous forme de fermentations ou de notes vineuses, l’acidité a vu son statut évoluer . L’essor des profils de torréfaction claire et la diversification des méthodes de traitement ont permis une réhabilitation sensorielle : une acidité positive, décrite comme vive, fraîche, éclatante, voire citrus, a remplacé l’idée d’une acidité brute ou désagréable. Les torréfacteurs spécialisés ont joué un rôle déterminant en valorisant ces descripteurs sur les emballages, contribuant ainsi à une meilleure acceptation culturelle.

Le café de spécialité a ainsi amorcé une transformation plus large : les consommateurs, désormais exposés à des cafés naturellement fruités, floraux ou acidulés (issus de traitements naturels ou d’autres processus), développent de nouveaux repères gustatifs.

Un changement culturel transversal:

Cette évolution ne se limite pas au café. De nombreuses cultures intègrent depuis longtemps l’acidité dans leurs traditions culinaires — des agrumes au tamarin, du pain au levain aux légumes fermentés à la bière. Aujourd’hui, la montée en puissance des boissons fermentées (kéfir, kombucha, kimchi) reflète un renouveau de l’intérêt pour les saveurs acides.

Ce phénomène s’observe aussi dans d’autres segments de marché : les bières acides (Gose, wild ales), les sodas probiotiques ou les spiritueux artisanaux aux profils fruités et complexes rencontrent un public de plus en plus curieux, façonnant une palette sensorielle plus large. Il existe ainsi une influence croisée entre les industries : le café de spécialité bénéficie de l’ouverture gustative portée par ces produits, tout en contribuant à cette redéfinition des attentes gustatives.

Réduire ce mouvement à une simple évolution du goût du café serait réducteur : c’est une dynamique culturelle plus large. Depuis les années 1990, le café de spécialité dialogue avec d’autres secteurs — bière, whisky, vin vivant — dans une synergie de valorisation des profils complexes et non standardisés. Les consommateurs d’aujourd’hui, plus formés, plus curieux, sont plus réceptifs à des profils acides autrefois rejetés. Ce déplacement des préférences gustatives traduit un élargissement du spectre sensoriel admissible, où l’acidité n’est plus un défaut, mais une composante de la richesse organoleptique.

Un mot sur l’inconfort gastrique:

Enfin, il convient de distinguer l’acidité perçue en bouche de l’acidité physiologique. À ce jour, aucun lien scientifique probant n’établit de corrélation directe entre l’acidité sensorielle du café et l’inconfort gastrique. Chaque organisme réagit différemment, et le mieux reste d’expérimenter différentes origines, torréfactions et méthodes d’extraction pour trouver l’équilibre qui vous convient.

L’acidité est un levier fondamental dans la construction du profil sensoriel d’un café. Sa maîtrise repose sur une compréhension fine des interactions entre origine, transformation, torréfaction et extraction. Plus qu’un paramètre isolé, elle devient un vecteur d’expression aromatique, de tension et de complexité. C’est cette gestion minutieuse, à la croisée du savoir-faire technique et de la sensibilité sensorielle, qui distingue un café d’exception d’un café simplement correct.

Chaque mois, retrouve un article de blog ici .

Un exemple de bières lambic avec de l’acidité, la brasserie 3 fonteinen

New Chart Brewing

Le nouveau diagramme de contrôle de l’infusion sensorielle et consommateur présente à la fois les principaux attributs sensoriels du café ainsi que les courbes de préférence de deux segments de consommateurs (Consommateurs I et Consommateurs II), en fonction du TDS (teneur en solides dissous), du PE (taux d’extraction) et du ratio d’infusion.
En positionnant un café sur le diagramme selon ses coordonnées de TDS, PE et ratio d’infusion, on peut identifier les attributs sensoriels qu’il devrait présenter, ainsi que la manière dont les deux types de consommateurs étudiés pourraient l’apprécier.

Abréviations : PE = taux d’extraction ; TDS = teneur en solides dissous.